Durant sa période hivernale, le Musée laisse la parole à divers témoins de Gaume pour évoquer un lieu, un monument, un personnage, une activité, une anecdote locale dans chacune de nos 10 communes.
Cette semaine, c’est Annette Biazot qui nous raconte l’aventure d’un faussaire qui a terminé sa vie à Muno (Florenville).
Ponce Cercelet, fils de Jean-Baptiste Cercelet et de Marguerite Herbulot vit le jour à Sedan le 6 novembre 1773. Exerçant déjà son métier dans sa ville natale, il est nommé imprimeur de l’administration centrale du département des Forêts à Saint-Hubert en février 1795, puis à Luxembourg, lorsque la ville devient la préfecture de ce département en octobre 1795. Il y imprime circulaires, jugements, lois et arrêtés et almanachs de poche.
Seul imprimeur officiel, il jouit d’un confortable monopole. L’Etat, trouvant cette situation désavantageuse, y met un terme. Furieux à devoir fermer boutique, Cercelet contre-attaque et publie à titre personnel L’Echo des Forêts, journal d’opposition de tendance jacobine qui critique l’administration française. Fin 1799, l’évènement du consulat lui enlevant ses dernières chances de sauver son affaire, il quitte Luxembourg et après un bref passage à Neufchâteau comme imprimeur-libraire, installe finalement son atelier à Muno. Il y poursuit ses activités après avoir embauché trois ouvriers : Geoffroi Quindot fils d’un imprimeur de Bouillon ainsi que Jean-Baptiste et Victor.
Pourquoi Muno ? Le 27 messidor an 6 (15-07-1798), il y achète le presbytère de 1779, devenu bien national. Le 30 prairial an 7 (18-06-1799), il épouse à Florenville Marguerite-Caroline Couturier, née à Luxembourg le 16 août 1770. Les témoins de cette union sont des révolutionnaires bien connus à Florenville : Antonelli et Cazé.
Vers l’an 10, Guillaume Bastgen, aubergiste, et J. Augustin, horloger à Luxembourg, projettent de fabriquer des fausses obligations impériales au porteur faciles à imiter. Ils ont besoin de faussaires en signature, d’un graveur et d’un imprimeur ! Augustin connaît bien Cercelet, qui s’empresse d’accepter ce travail. Munis d’une véritable obligation, les deux comparses voyagent en cabriolet jusqu’à Florenville, d’où ils partent à pied pour Muno afin d’éviter les soupçons. Cercelet se met immédiatement au travail en présence de son épouse et de Geoffroi Quindot, son ouvrier de confiance pour les affaires délicates, les autres employés étant écartés. Mais les documents contiennent trop de défectuosités et le papier utilisé n’est pas conforme. Cercelet contacte un papetier des environs et renseigne aux deux visiteurs un graveur sur bois de Trèves. Les imitateurs des signatures seront des Franco-Luxembourgeois.
Les complices conviennent de se revoir lorsque le matériel sera prêt. Marguerite, l’épouse de Cercelet, participe aux travaux d’imprimerie. Son mari étant régulièrement souffrant, elle dirige l’atelier et le magasin et tient les registres des comptes. Bastgen revient à Muno. Après avoir assisté à l’impression définitive des obligations, il reprend le chemin de Luxembourg, emportant avec lui les précieux documents contrefaits.
Le 24 pluviôse an 11 (13-02-1803) Ponce Cercelet décède à Muno. Une lettre anonyme adressée au sous-préfet du département mentionne le fait que le curé Jean-Baptiste Goffinet aurait refusé d’offrir une sépulture chrétienne à l’acquéreur de son presbytère, avant de finalement y consentir au bout de 4 jours. Le maire Jean-Baptiste Guiot, outré par les attaques envers l’ecclésiastique, prend sa défense. Même si Cercelet avait manifesté des dispositions opposées, le prêtre avait célébré la cérémonie religieuse dans les 24 heures suivant le décès.
Les ennuis vont commencer pour la veuve Cercelet. Le 4-07-1803, Guillaume Bastgen est arrêté à Paris en possession de faux documents. Pour bénéficier de la clémence des juges, il dénonce tous ses complices. Entre en scène, Jean-Baptiste Werquin, magistrat de sûreté à Neufchâteau depuis le16-07-1803, époux d’Anne Victoire Hugo, tante du célèbre Victor. Il mène une perquisition à la maison Cercelet et y saisit des caractères semblables à ceux des fausses obligations mais aussi, selon la légende, des réimpressions des œuvres du marquis de Sade pour des libraires de Paris. Ce que ne confirme pas l’inventaire des biens Cercelet du 9 au 13-07-1803 dressé par le notaire Guiot de Muno, le document ne renseignant que quelques livres dépareillés.
La fausseté des obligations est reconnue et attestée à Vienne. Le 22-05-1804, Marguerite et ses complices sont arrêtés et emprisonnés à Strasbourg. Le décès de l’imprimeur Cercelet l’a soustrait à toute action à son égard. Par contre, sa veuve et son ouvrier Geoffroi sont inculpés. Interrogée, Marguerite nie toute implication et prétexte une perte de mémoire. « Considérant qu’il a existé dans le courant de l’an 10 à Muno une fabrique de fausses obligations impériales belgiques de la création de 1793 », l’arrêt prononcé le 30-07-1806 par la Cour de justice criminelle spéciale du département du Bas-Rhin condamne Marguerite à une peine d’emprisonnement de deux ans et au remboursement des frais de procédure. Déclarée excusable malgré l’aide apportée à son mari, elle échappe à huit ans de réclusion à la maison de force. Geoffroi Quindot, l’ancien ouvrier de Cercelet, est quant à lui remis en liberté.
Marguerite décède à Paris le 16 juin 1835 où elle recevait une pension « pour dévouement de sa famille à la cause royale » (sic), tandis que Geoffroi s’installe comme imprimeur à Strasbourg avec son épouse et ses enfants.
Sources : archives de l’Etat Arlon, archives nationales Luxembourg, archives départementales de la Meurthe-et-Moselle et du Bas-Rhin.
Annette Biazot
Illustration : Assignat, bon au porteur que les faussaires ont essayé de reproduire